Pourquoi Elvire CORBEAU avait-elle été prénommée ainsi ? Il parait que c'était en souvenir du poète Lamartine. Celui-ci avait-il correspondu avec la famille CORBEAU ou avait-il simplement, par ses uvres, mis à la mode le prénom d'Elvire ? Un fait est certain, c'est que Lamartine fut député du Nord, ce qui explique qu'un jour, il déclara avec véhémence à la tribune de l'Assemblée : "Oui Messieurs, je crois à l'Avenir, l'Avenir de la betterave à sucre..."
Malheureusement, le père d'Elvire était mort à trente-trois ans. Celle-ci n'a alors que douze ans et elle est l'aînée de cinq enfants. Deux d'entre eux vont mourir quelques années plus tard. Les deux plus jeunes, qui survivront, sont Gaston CORBEAU, le futur mari de Laure CAULIER, et Alexandre CORBEAU, qui épousera Elise MARCHANT, la fille de François MARCHANT. Je crois qu'un de leurs oncles CORBEAU s'est occupé des études de Gaston et d'Alexandre. Et les voilà attirés tous les deux par la Belgique toute proche dont le développement industriel nécessite des hommes de leur trempe. Mais le fait que la branche CORBEAU soit devenue belge n'a jamais été - à aucun moment - un obstacle à l'esprit de famille qui régnait entre elle et la branche BRASSEUR, restée française.
Il n'y a pas si longtemps d'ailleurs que la partie Sud du Hainaut qui comprend Bavay a été rattachée à la France : trois siècles seulement - grâce à Louis XIV. C'est ainsi que dans les actes notariés rédigés à Bavay avant la Révolution de 1789, le fermage - ou plutôt le rendage - est exprimé en patars, monnaie de Flandre, tandis que les terres se mesurent en huittelées.
En lisant quelques actes de cette époque, l'on constate qu'il existait déjà en 1726 un Jacques BRASSEUR, laboureur à Sur-Hon. Nous voyons également la signature de Jacques BRASSEUR, notaire en 1757, puis procureur du siège royal de la prévôté de Bavay. Le fils de Jacques s'appellera Pierre Joseph BRASSEUR, laboureur à Sur-Hon. En 1783, celui-ci fait rédiger un acte pour que ses enfant partagent équitablement.
Avant la Révolution, plusieurs membres de la famille BRASSEUR étaient devenus prêtres. Sur un cahier écrit de la main du curé BRASSEUR de St Germain, près de Guise, en lisant l'âge de tous les défunts des années 1766 à 1769, on est frappé de voir combien l'on mourait jeune alors : même si l'on dépassait l'enfance, l'espérance de vie était beaucoup moindre que de nos jours.

Le curé donne six francs par jour à Jacq. Froment, vacher, pour garder ses animaux. Par comparaison, deux jalois de bled, soit environ un quintal, valent alors dix francs. Il donne à sa domestique vingt écus par an plus un louis d'or pour les frais de voyage pour s'en retourner dans son pays.
Au cours de la Révolution, la région de Bavay connut des heures sombres. Les invasions par les Alliés et les reconquêtes par les armées de la République se succédèrent, entraînant ruines et pillage. Si les Autrichiens furent parfois accueillis en libérateurs parce qu'ils rétablissaient les paroisses et le culte comme sous l'Ancien Régime, les paysans des régions occupées durent rapidement déchanter, car la Jointe opérait des impositions ou des réquisitions. Des brigands profitèrent de la confusion générale pour imposer leur propre loi. Chaque soir, les habitants des fermes isolées se barricadaient chez eux. Et ils tremblaint de peur lorsque les pillards, commandés par un voyou des environs nommé MONEUSE forçaient leurs portes et les torturaient en leur chauffant les pieds pour qu'ils livrent toutes leurs économies... Un siècle plus tard, le sinistre souvenir de la bande Moneuse sera encore présent dans la région de Bavay.
Sous la Révolution, certains prêtres, d'abord favorables aux idées nouvelles, connurent ensuite des cas de conscience terribles lorsqu'ils se trouvèrent confrontés avec les lois antireligieuses de la République. C'est ainsi qu'on voit M. BRASSEUR, curé de Saint Nicolas de Valenciennes, d'abord prêter serment à la Constitution, puis donner sa démission et redevenir laboureur à Taisnières-sur-Hon. Est-ce lui que l'on a appelé dans la famille "le Capucin du Gard" ? C'est possible, mais je n'oserai l'affirmer.
Lorsque les biens du clergé et des émigrés, devenus biens nationaux furent vendus, on ne voit pas la famille BRASSEUR se présenter pour les acheter, alors qu'en général les amateurs ne manquent pas pour acquérir de grandes propriétés - voire des abbayes - et les payer à bon compte et en monnaie inconsistante.
Ayant traversé la tourmente, la famille BRASSEUR continue la vie simple et rude de chaque jour. Le 3 Messidor An 8, on voit figurer sur le même acte "Pierre Joseph BRASSEUR vieux, Jean André Joseph BRASSEUR, Marie Catherine BRASSEUR et Pierre Joseph BRASSEUR jeune, frères germains" : il y avait donc en vie de même temps deux frères qui portaient les mêmes prénoms. Quant à ladite BRASSEUR, interpellée de signer, "elle a déclaré ne savoir écrire ni signer, de ce enquise".
Si nous examinons la situation de l'autre branche de la famille, nous sommes forcés de constater que pour Nicolas BRASSEUR, les premières années de la République furent dramatiques. Au cours de l'été 1796 - plus précisément le 18 thermidor An IV, l'huissier de Bavay saisit les meubles et effets lui appartenant, parce qu'il n'a pas su payer cent quarante cinq livres représentant une année de rendage...
Et voici l'Empire, avec son cortège de campagnes guerrières :"1811, ô temps où des peuples sans nombre attendaient sous un nuage sombre que le ciel eût dit : Oui". C'est cette année-là que Pierre Joseph BRASSEUR achète la ferme du Louvion, avec un jardin et une pâture. Mais les bâtiments sont dans un état pitoyable, les toitures n'ont pas été réparées depuis plus de vingt ans... Mais le champ de bataille se rapproche inexorablement. Les ordres de réquisition pleuvent sur le dos des paysans dès 1814.

Le 18 juin 1815, c'est la défaite de Waterloo. De nouveau, les armées alliées envahissent le sol de France et le 18 juillet, nous avon déjà un ordre de réquisition des troupes prussiennes à la ferme BRASSEUR.
Les procès relatifs aux changements de propriété intervenus depuis 1789 vont occuper une bonne partie du demi-siècle. Avant la Révolution, il y avait un couvent de soeurs grises à Bavay. En 1833, la famille BRASSEUR se retrouve assignée à payer au Bureau de Bienfaisance les sommes qu'elle devait précedemment à ce couvent.
Et nous voici revenus en 1836, l'année de notre point de départ., où nous trouvons la fille de Pierre BRASSEUR du Louvion, Marie-Catherine, en train de procéder à différents achats de terres avant son mariage avec le jeune Nicolas. Pour celà, elle signe à une parente une reconnaissance de dette de deux mille quatre cent francs à 2½% remboursable en huit ans. |